LE CONSCIENCISME DE KWAME NKRUMAH
- Kwame Nkrumah, le consciencisme. Orne (France), présence Africaine, p.141, 1976.
- Les années post indépendance ont fortement marqué la vie littéraire et philosophique du continent Africain. Des grands noms historiques ont laissé leurs marques : d’un côté nous avons Aimé Césaire et Léopold Sedar Senghor, de l’autre, Franz Fanon et bien entendu Kwame Nkrumah pour ne citer que ceux-là. Les Africains, après les indépendances, ont eu le vif désir de vouloir devenir comme le monde occidental qui leur a assujetti pendant des années. Pour cela, il leurs faut un programme, des stratégies et une « praxis » radicale pour reprendre le terme de Marx. L’ouvrage majeur de l’ancien président Ghanéen Kwame Nkrumah, s’inscrit dans ce sillage là. Ouvrage constitué d’une note de l’auteur, d’une introduction, et de cinq chapitres dont nous nous proposons de restituer la quintessence.
- Chapitre I : rétrospective philosophique Dans ce chapitre, il est précisément question d’une analyse rétrospective ; rétrospective dans la mesure où l’auteur a pour dessein le retraçage historique de la philosophie antique en rapport avec l’analyse de la matière première et des deux courants de pensées (matérialisme et idéalisme) susceptible de faire poids dans le processus d’accompagnement de l’Afrique vers sa libération effective. Après avoir perdu son humanité, l’étudiant Africain c’est fait initier à l’histoire du monde gréco-romain, qui pour lui à l’appui de l’histoire universelle, est seule digne d’intérêt. Selon Nkrumah, la philosophie se pose deux questions essentielles à savoir : « Qu’est ce qui est ? Et comment expliquer ce qui est ? » La réponse à la première question a plusieurs aspects et « pose un minimum d’idées générales dans lesquelles peut et doit être rangée toute réalité du monde » . Thales et l’eau, Berkeley et les esprits et leurs idées sont des exemples. La matière première cosmique exige une explication d’où l’importance de la deuxième question. Le premier aspect de cette question rend compte de l’origine de la matière première cosmique. A en croire Thales, Dieu se serait servi de l’eau pour commencer la création. Le second aspect de cette question « rend compte de l’extension de cette matière première. Elle nous fait savoir si Dieu le jour de la création, peut constater une insuffisance d’ordre économique » . C’est à dire les possibilités d’une erreur de calcul pouvant faire échouer le plan divin de construction de l’univers. L’analyse de la matière première cosmique est égale à l’analyse de la cause première. Pour l’auteur, « si l’on propose une cause de la matière cosmique, cette frénésie de causes aboutira à remonter, indéfiniment à la cause de la cause de la matière première de l’univers, et ainsi de suite. » Or, pour qu’une cause soit tenue pour cause première, il faut qu’elle soit sans principe, cause causante non causée. A cet effet, l’infini dont parlait Anaximène comme matière première nous dit Nkrumah trouve ses limites en ce sens que « même un univers infini peut finir, qu’il soit infini dans le temps, dans l’espace, ou de ces deux façons à la fois. Un univers infini dans le temps peut finir de la même façon que les nombres négatifs, car il suffit qu’il ait existé indéfiniment en direction du passé. Un tel univers peut cesser à n’importe quel instant, sans que son infinitude en soit affectée. (…) Et en ce qui concerne un univers infini dans l’espace, il peut cesser d’exister à n’importe quel instant, sans que ses dimensions soient mises en cause. » Pour notre auteur, on postule uniquement sur le monde car aucun discours empirique ne peut logiquement constituer le fondement matériel d’aucune proposition. Cette logique de cause première poussa les religieux à postuler l’idée de Dieu qui est au centre de la dialectique entre l’intérieur et l’extérieur. Nkrumah souligne à cet effet qu’ « il est essentiel de souligner, à propos de la condition historique de l’Afrique, que l’Etat doit être séculier. » Car la religion est un instrument de réaction sociale bourgeoise. La réponse à la question qu’est ce qui est ? Nous conduit inévitablement au matérialisme ou à l’idéalisme. Et l’auteur plus loin nous montrera en quoi est ce que le matérialisme est susceptible de soutenir son consciencisme. S’insurgeant contre l’idéalisme, Nkrumah pense qu’il a un caractère dogmatique en ce sens que son but est de « refuser à la matière toute existence indépendante de l’esprit » et nous conduis à ce que l’auteur a appelé solipsisme naissant. Il affirme : « l’idéalisme souffre de ce que j’appellerai le complexe de Dieu ; c’est ce que Marx appelait la spéculation enivrée, ce que l’on pourrait encore appeler l’extase de l’intellectualisme » . En faveur du matérialisme, l’auteur pense qu’elle est une forme sérieuse, objective, et presque descriptive, de métaphysique. Contrairement à l’idéalisme, le matérialisme reconnait que la matière est la catégorie première et l’esprit n’est qu’une catégorie dérivée. A partir de sa position matérialiste, l’auteur conclut que « notre univers est un univers naturel et son fondement est la matière, avec ses lois objectives. » Chapitre II : Philosophie et Société Le dessein principal ici est celui de présenter le rapport qu’il y-a entre la philosophie et la société ; mieux encore montrer en quoi est ce que la philosophie est la torche du fait social. D’entrée de jeux, l’auteur affirme : « la philosophie tire ses origines de la spéculation théologique. Les premières réflexions théologiques furent un conglomérat de pensées centrées sur les grandes idées de Dieu, de l’âme, de la destinée et de la loi. » A cette époque, l’un des soucis majeurs de l’existence était la vie religieuse et la philosophie avait pour mission d’éclairer la nature de Dieu, de l’âme humaine et de la liberté. Cette page de l’histoire se tourna à la renaissance européenne où l’homme devint le centre de l’univers et l’esprit humain fixa ses limites. La philosophie est indétachable de la société, parce que pour philosopher il faut bien être d’un milieu social. Le milieu social où vivait Thales était propice à son explication de la nature en termes de nature. Peu à peu, avec la montée de la classe commerçante appuyée sur les arts mécaniques plutôt que sur les rituels, la crédibilité des prêtres diminuait considérablement. Ce cas de changement social est passif et il s’oppose à l’actif qui, selon Nkrumah est la révolution. « Les révolutions sont le fait d’hommes, d’hommes qui pensent en hommes d’action et agissent en hommes de pensée. » Toute révolution pense t-il a une base idéologique ; la révolution dans un premier temps s’oppose à un ordre ancien et dans un second moment lutte pour un ordre nouveau. Donc la révolution n’est pas purement négative, non plus une réfutation conceptuelle d’un ordre social. L’exemple de Thales et le caractère politique de sa métaphysique, d’Anaximandre et son désir de redresser la structure sociale au moyen des principes actifs et sanctions, de Héraclite et son dynamisme social à partir duquel de la lutte des contraire, jaillit un accord, d’Anaxagore et le noûs qui est un principe unificateur et sous-jacent de l’égalitarisme ; visent à montrer que la philosophie et la société ne font qu’un corps. Selon Héraclite, « l’évolution par la révolution est la pierre de touche du progrès.» Contrairement à Socrate qui affirmait une égalité entre les hommes, Platon et sa théorie des âmes affirmait l’inégalité naturelle qui régnait entre les hommes. Les intellectuels chrétiens furent les premiers à développer la philosophie réactionnaire de Platon ; car, le besoin pressant d’une philosophie leur permettant de distinguer un ordre céleste et un ordre terrestre se présentant, ils furent s’en tenir à la philosophie de Platon et peut être même de Plotin. L’auteur de Towards Colonial Freedom affirme pour finir que « je crois que, quand nous étudions une philosophie qui n’est pas la nôtre, nous devons la replacer dans le contexte de l’histoire intellectuelle à laquelle elle appartient et du milieu où elle est née. Ainsi, nous pouvons l’employer à perfectionner le développement culturel et à renforcer la société humaine. » Chapitre III : Société et Idéologie Le chapitre précédent a montré comment la philosophie surgit d’un milieu social. Le milieu social impacte sur le contenu de la philosophie et celle-ci se donne pour mission d’affecter le milieu social soit en le validant, soit en l’invalidant. D’où comme le dit l’auteur le caractère idéologique de la philosophie. L’auteur, dans Towards Colonial Freedom met en avant le caractère préparatoire d’une révolution qui est d’abord un programme et ensuite une dérivée d’un principe nouveau, général, positif et organique. Il affirme que « c’est l’idéologie qui donne une forme au milieu social qui découle de la révolution. (…) La philosophie, par conséquent, reconnait qu’elle est un instrument idéologique. » L’on peut retrouver dans une société plusieurs idéologies rivales, toujours est il que l’une d’elle dominera le reste et celle-là c’est l’idéologie dirigeante ; car détentrice ou ayant une main mise sur les appareils idéologiques de la nation. Dans cette mouvance, pense Nkrumah, l’impérialisme qui est le dernier stade du capitalisme fleurira toujours sous toutes ses formes car le rapport d’exploiteur exploiter existera toujours. La morale à cet effet joue le même rôle que l’idéologie à savoir « unir les actes de millions d’être en vue d’objectif spécifique ». Une idéologie est pratiquement un programme plus encore un manifeste qui se manifeste par une théorie politique, sociale et morale utilisées comme instrument. Le comportement à tenir y est inscrit également. L’auteur critique l’idée d’un contrat social comme étant une erreur historique dans la mesure où les hommes selon lui auraient vécu par avance dans la société ; ce qui leurs a conféré un langage commun. L’incompatibilité avec l’idée du contrat c’est que, un langage commun est déjà un fait social. Donc l’état de nature n’est qu’une erreur de parcourt. La faiblesse de la résistance au monde occidental des africains est l’usage du récit de l’histoire propre au colonialisme et à l’impérialisme comme instrument de leur idéologie d’oppression. L’histoire, c’est l’histoire de la classe qui domine. « Il est trop facile, en voulant écrire l’histoire d’une nation, d’écrire en fait l’histoire de sa classe dominante. » C’est pourquoi les grands historiens sont des accusateurs publics nommés d’eux même. Au nom du passé, ils accusent et exhortent au nom de l’avenir. Allant plus loin, l’auteur pense que l’art est un élément plus subtil de l’idéologie. Il n’a pas toujours propagé un idéal conforme à l’idéologie admise. Il assure beaucoup plus la réforme voir même la révolution. A cet effet, « l’art Africain a lui aussi, brossé le portrait de la société » . Ce brossage social qu’effectue l’art est porteur d’une idéologie qui, elle aussi, est un instrument de la conception de la société désirable. « La philosophie, elle aussi, est l’un des instruments subtils de l’idéologie et de la cohésion sociale. Elle donne même à la cohésion un fondement théorique. » Pour Nkrumah, le colonialisme et le néocolonialisme assurent la fraction de la société Africaine par l’entremise des idéologies rivales comme : la tradition musulmane, chrétienne et la culture de l’Europe occidentale. La solution de notre auteur semble claire : « il faut produire une idéologie qui, sincèrement rivales et, par conséquent, reflète l’unité dynamique de la société et soit le guide menant à son progrès constant. » Le but suprême étant le bien du peuple tout entier. Kwame Nkrumah arrive à la conclusion selon laquelle par une transformation matérialiste, le socialisme est une urgence à la restriction africaine des principes sociaux humanistes et égalitaires. Chapitre IV : le consciencisme « La pratique sans la théorie est aveugle ; la théorie sans la pratique est vide ». A l’égard des trois fractions idéologiques que l’on retrouve dans la société africaines, l’attitude des africains, pense l’auteur, doit être « raisonnée, guidée par une pensée ». Car la pratique sans la théorie est aveugle. Pour le compte de l’Afrique, « la révolution sociale doit donc s’appuyer fermement sur une révolution intellectuelle, dans laquelle notre pensée et notre philosophie seront axées sur la rédemption de notre société. Notre philosophie doit trouver ses armes dans le milieu et les conditions de vie du peuple africain » . L’effectivité de cette révolution passe d’une part par une reconstitution de la société égalitaire et d’autre part par une mobilisation logique de toutes nos ressources. Le fondement du consciencisme est le matérialisme. Le consciencisme se définit comme étant « l’ensemble en termes intellectuels de l’organisation des forces qui permettront à la société africaine d’assimiler les éléments occidentaux, musulmans et euro-chrétien présent en Afrique et de les transformer de façon qu’ils s’insèrent dans la personnalité africaine » . Son fondement matérialiste est celui de l’affirmation de l’existence absolue de la matière. Il s’agit pour la philosophie appelée consciencisme de partir de l’état actuel de la conscience africaine pour indiquer par quelle voie le progrès sera tiré du conflit qui agite actuellement cette conscience. Le consciencisme tout comme l’iconoclasme révolutionnaire de Towa est une proposition de voix philosophique pouvant permettre à l’Afrique de sortir de ses tristes et regretables conditions de vie. Les principes du consciencisme ont en substance deux aspects à savoir l’existence indépendante et absolue de la matière et sa spontanéité mouvante. Ces deux principes sont le gage du matérialisme de la philosophie conscienciste. Pour le consciencisme, la réalité première est la matière et son principe moral « est de traiter chaque être humain comme une fin en soi, et non comme un simple moyen » . Dans son déploiement politique, le consciencisme rencontre les problèmes tels que : le colonialisme, l’impérialisme, la désunion et le développement insuffisant. La résolution de ces problèmes passe premièrement par une liquidation du colonialisme dans tous les lieux où il se manifeste. Les pays colonisés ont donc besoin à cet égard, d’une action positive soutenue par un parti de masse. Ce parti souligne l’auteur, ne doit pas être seulement originale dans son programme, mais aussi, doit être radicalement soutenue par des millions de membres et sympathisants unis au tour d’un même dessein. La période de quête des indépendances en est un exemple à suivre. Le consciencisme face à la religion se pose en s’opposant dans la mesure où il lutte contre le fanatisme religieux ; car il empêche et freine même toute action positive nouvelle. La base matérialiste du consciencisme vise à poser une résistance farouche contre les colonisateurs et permet au nouvel dirigeant de défendre les intérêts du peuple. La transformation sociale ne se fait pas du jour au lendemain ; « pour aboutir à une libération véritable, il faut que l’action positive commence par une analyse objective de la situation qu’elle espère transformer » et la formulation mathématique du système s’avère d’une grande importance. Chapitre V : formulation mathématique du système Il s’agit dans ce chapitre, d’un ensemble de sigle pouvant mener à bien et sans échec une révolution sous la direction d’une idéologie. L’action positive à un but précis : dépister les risques négatifs et les combattre. Lorsqu’une colonie ou un territoire est soumis de l’intérieur et de l’extérieur, alors g est la colonie si et seulement si l’action négative excède l’action positive. (Système I) La libération d’une colonie exige un moment dialectique dans l’action négative sur l’action positive pour en faire une action positive sur l’action négative. Cette libération constitue la formulation du système II : le territoire g est libéré si et seulement si l’action négative sur l’action positive devienne la primauté de l’action positive sur l’action négative. Kwame Nkrumah, à partir de ces systèmes, présente dans quelle mesure la libération de l’Afrique serait possible à l’aide de l’action positive. Le but étant de bannir maximalement l’action négative. Comme l’action négative ne peut disparaitre complètement, il faudrait qu’elle devienne une quantité négligeable que le système présente en ces termes : la limite du moment dialectique en général de l’action négative sur l’action positive est condition de la croissance de l’action positive conjointement à une quantité négligeable de l’action négative dans la société. L’action positive prolongée s’inscrit dans l’optique d’une application du moment dialectique de l’action négative sur l’action positive et de l’action positive sur l’action négative. D’où le système ci contre : un territoire libéré est uni si et seulement si l’action positive croissante conjointement à l’action négative est en diminution à l’étape zéro du territoire libéré. La croissance simultanée de l’action positive pour tous les territoires s’avère donc capital ; alors une union de territoire libéré dans une zone géographique est unie si et seulement si l’action positive croissante conjointement à l’action négative est en diminution au stade zéro de l’union. Le rapport de force au développement est nécessaire si et seulement si le matérialisme(m) est conjoins au consciencisme en général(C) lui aussi conjoins au moment dialectique en général(D). Le socialisme apparait alors comme la condition d’un développement optimal dans l’humanisme, d’où la formule : est socialisme en général le rapport de forces nécessaire au développement, conjoins à l’union des territoires libérés. Au finish, la valeur du socialisme est tributaire à sa jonction au matérialisme(m), au consciencisme(C), au moment dialectique(D) et à l’union du territoire libéré (U Gi). A travers l’analyse du chef d’œuvre de Kwame Nkrumah, il ressort que l’orientation développementale qu’il donne à l’Afrique est une orientation matérialiste, par opposition à celle dite spiritualiste. Pour notre auteur, il était question d’une révision matérialiste des trois fractions qui se trouvent dans notre société. Révision qui consistait en une nouvelle analyse en contexte africain de ces fractions afin de les mettre à notre service. Pour cela, une idéologie bien analysée sous la base des actions positives sans faille doit assurer cette révolution sociale qui vise à établir en Afrique un nouvel ordre social fondé sur la morale et l’égalité. Le consciencisme philosophique est en dernière analyse le porteur de tout ce programme à base révolutionnaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire